Jusqu’à 2017, je me définissais de manière routinière comme – je cite – un ‘désastre dermatologique’. Des allergies au soleil au pityriasis en passant par le vitiligo, je semble être sujette aux problèmes de peau, comme d’autres font des sinusites à répétition. Mais mon ennemi public numéro un pour le dernier quart de siècle reste l’acné.
L’acné fait partie de ma vie depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. Avant d’en avoir une expérience personnelle, j’ai grandi en voyant ma mère souffrir de boutons occasionnels : elle était à l’agonie pour chacun d’entre eux, ignorant le fait qu’ils ne causaient aucun problème pour moi ni qui que ce soit d’autre. Souffrir d’acné (peu importe à quelle intensité), c’était avoir une ‘vilaine peau’.[i]
L’acné semblait être chargée de honte pour soi-même et les autres, et il fallait se mobiliser pour la traiter, la cacher, la faire disparaitre à tout prix.
Du coup, quand j’ai atteint l’âge de la puberté et ai commencé à voir pointer quelques boutons d’acné sur mon front, ce qui, retrospectivement, me semble TOTALEMENT NORMAL, nous nous sommes toutes les deux rendues chez le médecin et avons immédiatement accepté son offre de démarrer la pilule contraceptive pour ‘contrôler le problème’. Nous nous sommes empressées de fermer les yeux sur les effets secondaires inquiétants de la fameuse Diane-35 et le fait que cette acné juvénile se serait probablement calmée d’elle-même avec la stabilisation de mes hormones … Bien sûr, la pilule fut la solution miracle et je finis par la prendre d’une manière ou d’une autre pendant QUINZE ans. Cette période fut marquée par une peur sous-jacente de voir revenir mon acné, à chaque fois qu’il fallut changer de pilule ou l’arrêter pendant quelques mois. Malheureusement, l’anxiété n’est pas une forme de prévention de l’acné (en réalité c’est même l’inverse !), pas plus que ne le sont le perfectionnisme et les messages toxiques liés à la beauté et la fémininité, mais je l’apprendrai bien plus tard, un peu à mes dépens.
Avançons en 2014, désormais maman de deux beaux enfants, je tombe sur un article sur le lien potentiel entre santé de la peau et équilibre du système digestif. CQFD ! Me voilà prête à arrêter de consommer du gluten. A l’époque, vivre sans gluten est assez compliqué et extrêmement mal desservi. Qu’à cela ne tienne. Je suis déterminée à trouver le ‘coupable’ pour ma ‘vilaine peau’ désormais devenue chronique. A la fin de 2015, je ne mange plus de gluten, ni de produits laitiers, de noix, de nourriture ‘industrielle’, de sucre, d’alcool … Cette obsession contre l’acné m’a mené tout droit vers…le trouble du comportement alimentaire.
Bien sûr, ma santé mentale est un désastre (vivre dans un déficit constant d’énergie impacte le cortex préfrontal : réguler mes émotions et prendre des décisions au jour le jour me semble difficile, voire impossible). Je passe le plus clair de mon temps, stressée au travail, obsédée par la nourriture que je m’interdis de consommer, et sans aucune patience pour mes enfants une fois rentrée à la maison. Mon temps libre est monopolisé par une quête désespérée de contrôler ma ‘santé’ (le nom acceptable pour mon poids, ma peau et ma beauté).
Contrôler ma peau, mon corps, mon apparence sont alors au coeur de toute mon existence.
Je n’en suis pas consciente à l’époque mais cette recherche incessante de contrôle fonctionne comme une alternative (toxique) protectrice à des difficultés de santé mentale jusqu’alors largement sous-estimées : anxiété, syndrome de l’imposteur, perfectionnisme, une incapacité à ressentir et gérer mes émotions sans m’autodétruire, un besoin urgent d’authenticité et de prendre soin de moi-même.
Alors que j’écris ces lignes à la fin de 2018, je me considère comme totalement remise des troubles du comportement alimentaire que j’ai expérimentés pendant presque une décennie. Je mange de tout, en accord avec les signaux de faim et de satiété de mon corps, sans règles préétablies, et mon apparence ne me définit pas autant que par le passé. Evidemment, dix ans de manipulation de mon corps, de mon poids, laisse des traces indélébiles. Outre la maladie d’Hashimoto qui attaque ma thyroïde, je continue à souffrir d’acné cystique chronique, de la même manière que lorsque j’avais éliminé de mes habitudes alimentaires environ 85% des groupes alimentaires connus de l’Homme.
Je ne peux pas dire que j’aime vivre avec mon acné. Et je n’abandonne en aucun cas mes recherches pour trouver les produits appropriés à ma peau, ou pour ramener mes hormones à un équilibre plus serein- surtout si ça peut se faire de manière naturelle. Mais ma peau et moi, on a signé un cessez-le-feu. J’ai arrêté de la ‘combattre’.
J’en ai marre de devoir cacher mon acné ou de passer mon temps à me détester à cause d’elle.
J’arrête de prétendre que je suis parfaite ou que je dois être belle. Je ne dois pas l’être… Je suis moi, et puis c’est tout. Je suis bien plus complexe que mon apparence ne le souligne. J’accepte désormais que l’acné fait partie de moi et le fera probablement toujours : boutons, cicatrices, hyperpigmentation, douleurs présentes et passées. Rien de tout cela ne me définit en tant que personne. Quiconque est dégoûté par cette apparence peut continuer son chemin. Mes vrais alliés peuvent me reconnaitre au-delà de cet étrange bouclier.
Avec #normaliserlacne, je veux aider à créer une meilleure représentation de l’acné en général et réitérer qu’il est possible de vivre heureux, même avec l’acné. J’espère que les gens qui comme moi, ont des boutons, ne se sentent pas obligés de faire des régimes si draconiens qu’ils développent des troubles du comportement alimentaire. Qu’ils ne ressentent pas le besoin d’excuser leur apparence auprès de leurs proches. J’aimerais que tous les soucis dermatologiques soient plus présents dans les médias. J’espère créer l’embryon d’une communauté de gens qui souffrent et ont besoin d’un espace de tolérance et de parole, pour partager leurs difficultés et trouver du soutien dans leurs défis respectifs d’acceptation de soi.
Trouvez mes inspirations en termes de positivisme dermato ici. Elles sont principalement en Anglais mais n’hésitez pas à me contacter si vous en connaissez en Français ou si vous avez envie d’échanger à ce sujet. Faisons de nos soucis de peau le ciment d’une communauté (francophone) unie dans la compassion et la bienveillance.
[i] Attention : Je n’en veux absolument pas à ma maman pour son attitude envers ses soucis de peau ! Je sais qu’elle a toujours fait ce qui lui semblait le mieux pour gérer un défi souvent inconfortable, parfois douloureux. Je t’aime, maman! avec les boutons et tout. <3