Il y a quelques semaines, une de mes militantes anti-grossophobie préférées a fortement interpellé une bloggeuse influente par rapport à un de ses posts sur Instagram. La bloggeuse en question, qui depuis 2 ans a mis en avant sa perte de poids via un ‘rééquilibrage alimentaire’ (traduction: c’est un régime) et vendu d’innombrables livres de cuisine estampillés ‘healthy’ ainsi que des produits dérivés, a posté une photo d’elle en bikini (taille small) sur une plage. En commentaire, elle expliquait qu’elle avait travaillé « si dur » pour accepter ce corps et encourageait ses followers à être aussi « body positive » cet été.
Si vous commencez à vous familiariser avec ce concept, vous pourriez ne rien voir de mal à cela. Vous pourriez penser : pourquoi ne pouvons-nous pas tous être « body positive » après tout ? N’est-ce pas un bonus pour tous d’accepter son apparence, quelle que soit sa taille ? Vous pourriez même vous dire qu’interpeller cette bloggeuse etait inapproprié de la part des activistes anti-grossophobie…
Au-delà de la simple question éthique de quelqu’un qui revendique le droit d’être « body positive » alors qu’elle gagne sa vie en vendant des régimes à ses followers (grmbl), l’interpeller sur ce post était tout simplement né-ces-sai-re. Et cet « incident » en ligne m’a encouragée à écrire sur le « privilège de la minceur », un phénomène qui m’affecte également, et qui informe beaucoup de mes actions, dans ma vie privée mais aussi dans mon travail de coach.
Le « privilège de la minceur », c’est quoi exactement ?
Il s’agit d’un ensemble de privilèges systémiques (des avantages ou des droits spéciaux) octroyé à certaines personnes qui se conforment au standard de beauté idéal établi par la société *.
Concrètement, le privilège de la minceur signifie :
Vous n’êtes pas limité.e.s dans vos déplacements et vos activités par la forme et la taille de votre corps (trains, avions, salles de classe)
Vous n’êtes pas automatiquement considéré.e.s paresseu.x.se.s, ou en mauvaise santé.
Votre médecin traitant est davantage susceptible de vous prescrire un traitement approprié, au lieu de vous encourager à perdre du poids, avant toute autre procédure ou investigation.
Vous n’êtes ni insulté.e.s ni ‘conseillé.e.s’ sur la perte de poids par des inconnus dans la rue, au resto, au supermarché, qui se diraient ‘inquiets de votre bonne santé’.
Vous n’êtes pas discriminé.e.s au travail ou lors de la recherche d’un nouvel emploi.
Vous trouvez des vêtements à votre taille dans n’importe quel magasin de vente au détail ou en ligne.
Vous mangez ce que vous voulez quand vous le voulez sans être la victime de regards désapprobateurs.
Vous êtes considéré.e.s comme « normal/aux » et non comme un cas pathologique.
Vous êtes représenté.e.s dans les médias, dans les œuvres d’art ou de culture comme la ‘norme’.
Comme d’habitude avec les privilèges, beaucoup d’entre nous sont nés avec et peuvent dès lors trouver difficile de les reconnaitre, jusqu’à ce qu’ils soient enlevés ou perdus. Je ne dis pas que les personnes minces sont dans leur tort, loin de là, mais qu’elles devraient apprendre à reconnaître leurs avantages, en particulier si elles souhaitent soutenir le mouvement body positive ou devenir un.e allié.e dans la lutte contre la grossophobie systémique.
Le mouvement ‘body positive’ d’ailleurs, cette idée d’accepter tous les corps, quelle que soit leur taille, leur apparence ou leurs capacités, trouve ses racines dans le mouvement anti-grossophobe. Ainsi, lorsque des personnes vivant dans des corps minces prétendent être « body positive » mais évitent de reconnaître leurs propres privilèges (ou, aheum, le fait qu’elles vendent des régimes), elles n’agissent pas comme des alliées pour toutes les personnes vivant dans des corps qui ne sont pas jugés conformes à la norme de beauté « du moment ». Par cela, je ne dis pas que les personnes minces ne ressentiront pas la pression de se conformer à la norme esthétique (nous la ressentons tous) ni que l’on doit invalider leurs émotions à cet égard. Je veux simplement dire que leur expérience personnelle n’est certainement pas comparable à l’oppression systémique que subissent les personnes grosses à tous les niveaux de leur vie professionnelle et intime.
Cela n’a rien à voir avec du ‘skinny shaming’, il s’agit en fait de coopter les expériences d’autres personnes.
Alors, si vous vivez avec ce « privilège de la minceur » et que vous souhaitez vous battre pour une plus grande acceptation de vous-même, souvenez-vous de commencer ce cheminement personnel en RECONNAISSANT votre privilège et en créant un espace bienveillant pour accueillir les expériences de personnes vivant dans des corps différents du vôtre – de par leur taille, race, orientation sexuelle, handicap, etc.
Car en fin de compte, la libération des corps se fera pour tous.te.s ou ne se fera pas.
PS : Si vous souhaitez aller plus loin et devenir un.e allié.e des personnes confrontées à une discrimination en raison de leur apparence, mettez vous a l’écoute de Daria Marx et du collectif Gras Politique: www.dariamarx.com https://www.youtube.com/watch?v=Ezs1BNMyfqI
*J’ai volé cette définition à Glenys Oyston, après l’avoir aimée sur le podcast ‘Dietitians unplugged’, épisode 54. Merci Glenys et Aaron!