Au cours des dernières semaines, j’ai fait face à de nombreuses questions sur le fait de « manger ses émotions ». Souvent utilisé en anglais, le terme « emotional eating » est généralement auto-diagnostiqué et implique un certain montant de honte et de souffrance, au travers de la population entière, au-delà des différences de taille, sexe, d’origine, d’âge et de statut socio-économique.
Si vous vous identifiez à ce terme, voici quelques moyens de mieux comprendre ce mécanisme et de démanteler son pouvoir sur vous, dans la compassion et la bienveillance.
NB : Il est important de préciser que, dans le cadre d’une guérison de troubles du comportement alimentaire avérés ou sévères, manger ses émotions ou manger en grandes quantités est une étape indispensable du rétablissement physique et mental. Cette dernière nécessite l’aide de professionnels de la santé, médecins, psychologues, diététicien.ne.s, qui dépasse mes méthodes de coaching. Si vous vous interrogez sur vos besoins personnels, n’hésitez pas à me contacter personnellement, ainsi que les organisations de prévention des troubles du comportement alimentaires listées sous ma page de références. Elles seront à même de vous orienter gratuitement vers un soutien approprié à vos besoins.
1 / « Manger ses émotions », c’est naturel
Dans son livre « La santé à toutes les tailles », Dr Linda Bacon nous rappelle très justement qu’« un lien affectif avec la nourriture fait partie d’une relation normale et saine avec la nourriture, qui peut et doit nous apporter plaisir et réconfort. » Manger, tout comme faire l’amour, est lié au plaisir afin de garantir la survie de l’espèce humaine.
Mais pourquoi « manger ses émotions » est-il donc péjoratif? C’est à cause de la dissonance que ce comportement crée avec les valeurs largement véhiculées dans notre culture obsédée par la minceur comme signe de bonne santé. Par exemple, avez-vous remarqué que lorsque nous parlons de « manger ses émotions », on le comprend immédiatement comme manger « avec excès » et jamais comme « pas assez »?
Donc, sauter un repas quand on est anxieux.se, c’est sans souci, mais s’envoyer tous les fonds de crème glacée de son congélateur, c’est honteux et répressible. Voila comment l’obsession de la minceur nous culpabilise jusque dans nos pensées les plus intimes.
Il s’agit bien d’un dommage collatéral de la culture des régimes, ce système de valeurs qui vénère la minceur avant tout et élève la grossophobie au niveau de préoccupation de « santé et bien-être ». Fort du bombardement constant de messages sur la gestion du poids, les calories et les superaliments, ces valeurs sont profondément ancrées dans notre psychologie. Et malgré le fait qu’aucune preuve scientifique ne lie minceur et santé dans une relation directe de cause à effet (on parle toujours de corrélation. Ce qui, à titre de comparaison, apparait aussi entre fumer et avoir les dents jaunes. Pourtant il nous apparaitrait grotesque de recommender aux gens avec les dents jaunes de faire blanchir leurs dents pour être en meilleure santé), les valeurs grossophobes qui nous entourent détournent et stigmatisent TOUT comportement qui pourrait induire le moindre gain de poids.
En fait, « manger ses émotions » est généralement enraciné dans la croyance (erronée) selon laquelle il existe une « bonne » et une « mauvaise » façon de manger, une « bonne » et une « mauvaise » liste d’aliments, et de « mauvaises » quantités à consommer. C’est un comportement qui va main dans la main avec des antécédents de restriction chronique, de régimes à répétition, de haine de soi, de peur de grossir.
Une première étape consiste donc à dissiper la peur, le jugement et la honte suscités par ce comportement. Parce que manger beaucoup quand est stressé.e.s et qu’on cherche du réconfort n’est pas plus criminel que de ne pas pouvoir canaliser son flot de pensées ou de dormir plus que d’habitude. On peut dire que manger au-delà de la satiété est inconfortable, certes, mais il existe des façons bien plus dangereuses de gérer ses émotions difficiles, comme les dépendances à l’alcool ou la violence envers soi-même ou bien les autres.
2 / « Manger ses émotions » peut être un signe de malnutrition
Si vous manquez de certains nutriments ou vous interdisez de manger suffisamment pour votre métabolisme, votre corps met tout en œuvre pour vous sauver de ce semblant de famine. Y compris vous pousser à penser constamment à la nourriture et à manger beaucoup plus quand il en a l’occasion.
Par conséquent, si vous avez parfois l’impression que certains mets vous sont tout simplement irrésistibles, il est important de s’interroger :
Est-ce que je mange assez tout au long de la journée ? Est-ce que j’ai sauté des repas ou ignoré mes sensations de faim aujourd’hui ?
Personnellement, je sais qu’il me faut au moins trois repas et deux collations pour fonctionner de manière optimale. Les jours où je mange moins, de manière inconsciente ou parce que j’ai une journée particulièrement chargée, je ressens parfois des sautes d’humeur, ou bien je suis incapable de me concentrer. Ignorer ces signaux peut entraîner des migraines, des vertiges et une tendance à manger beaucoup, plus tard dans la journée, ce qui est parfaitement compréhensible d’un point de vue physiologique, et à accepter en tant que tel comme un mécanisme de sauvegarde du corps.
Est-ce que je restreins certains groupes d’aliments ? Est-ce que je me sens limité.e, surtout sur les aliments qui me procurent de la joie et du plaisir, ou qui renforcent mon lien social ?
Par exemple, il n’est pas surprenant que l’on finisse par idéaliser les hydrates de carbone (pain, pâtes, etc) suite à un régime hyper-protéiné. Et parce que les glucides se transforment en sucre dans notre corps, celui-ci exige parfois qu’on prenne un raccourci pour combler le manque. Du coup, quand on ne peut pas s’arrêter de manger des sucreries, c’est parfois tout simplement une façon physiologique de compenser un manque de glucides sous forme d’hydrates de carbone. Manger ses émotions est intimement lié à une certaine tendance à la restriction.
Un régime alimentaire équilibré passe également par l’importance du plaisir et de la satisfaction, des notions trop souvent oubliées.
Rappelez-vous que tous les aliments ont un rôle à jouer dans un régime alimentaire sain. Même les aliments qui paraissent moins nutritifs au premier abord apportent plaisir et de satisfaction, qui à leur tour renforcent les capacités du système digestif. Se donner la permission de manger de tout crucial. C’est le seul moyen d’adopter une approche réellement équilibrée de la nourriture et du corps, sans honte ni culpabilité.
3 / « Manger ses émotions » n’est pas un problème alimentaire
Manger ses émotions appelle à une plus grande prise de conscience de notre gestion des émotions.
Détendez-vous lors de ces épisodes. Arrêtez de combattre vos envies, rappelez-vous qu’aucune de celles-ci n’est un problème de volonté, mais plutôt une rupture temporaire de connexion au corps. Rappelez-vous qu’avoir faim n’est pas à craindre, c’est ce qui nous donne l’énergie de vivre et d’entreprendre des projets ! Et prenez vos repas en pleine conscience, mangez sans distractions ni écrans, afin de bien enregistrer les sensations, le plaisir, les goûts et les arômes. Cela vous permettra de digérer mieux, mais aussi de vous reconnecter à votre sensation de satiété.
Restez bienveillant.e.s et ne portez aucun jugement. Prenez conscience de ce qui se passe lorsque vous ne pouvez pas vous retenir de manger en abondance. Tenir un journal peut aider à noter les éléments déclencheurs, les croyances, les pensées et les sentiments avant, pendant et après. Au plus vous en êtes conscient.e.s, au plus vous pourrez prendre les mesures qui s’imposent pour faire face à vos émotions, de manière plus douce et plus tolérante. Au plus vous serez capable de comprendre le réels besoins émotifs qui se cachent derrière ces comportements alimentaires.
Si vous « mangez vos émotions », vous n’avez pas un problème alimentaire, vous avez un problème de self-care – Linda Bacon