Depuis la création de mon entreprise de coaching l’année dernière, tendre vers plus de justice sociale est au cœur de mes ambitions. Mais c’est un objectif qui reste largement influencé par mes propres privilèges. Dès lors, en tant que femme mince, blanche, de classe moyenne et hétérosexuelle, mais aussi et surtout en tant que coach, il me semble de plus en plus essentiel de consacrer plus de temps à l’écoute, à l’exploration, à la compréhension de la vie des autres, surtout ceux qui ne me ressemblent pas. A l’occasion de mon douzième ramadan vécu aux Emirats Arabes Unis, je me suis intéressée à ce pilier de l’Islam, qui bouleverse les habitudes alimentaires des musulmans pendant un mois de l’année. Je me demandais plus particulièrement ce que cette période signifiait pour les musulmans, d’autant plus ceux qui s’interrogeaient sur leur relation à la nourriture et au corps, alors que leur spiritualité les invitait à osciller entre jeûne et festin.
C’est pour cela que j’ai invité Hanane Fathallah, blogueuse mode grande taille et activiste body positive, à répondre à certaines de mes questions sur le ramadan. Et, heureusement, elle a dit oui! Hanane (prononcé avec un «e» silencieux) a 35 ans et vit à Dubaï. C’est une mère au foyer qui prend soin de son adorable fils autiste, Ahmad. Elle est aussi graphiste indépendante. Elle a commencé à bloguer en 2012 afin de s’évader un peu de sa routine quotidienne, mais aussi d’écrire sur son expérience de la maternité et de l’autisme, et de plaider en faveur de la mode body positive au travers de partages de tenues et d’histoires personnelles. Elle incite les femmes rondes au Moyen-Orient à se mettre en avant par le biais de la mode, mission oh combien importante et souvent oubliée des marques mais aussi des médias. Ensemble, nous échangeons sur la foi et les pratiques musulmanes, sur l’importance de s’affirmer du jugement des autres et sur la maternité. Voici ma conversation avec Hanane Fathallah.
Que signifie la célébration du ramadan pour toi en particulier ?
Ayant grandi en Arabie Saoudite, le Ramadan a toujours occupé une place particulière dans mon cœur. C’est une période où on comprend le véritable sens du don et où on réfléchit à notre reconnaissance. C’est un mois de gentillesse, d’espoir, de générosité et de réflexion. C’est aussi le moment de multiplier les bonnes actions, en toute honnêteté et modestie. Le Ramadan, pour moi, est riche de souvenirs, du partage d’iftars [repas consomme au coucher du soleil pendant Ramadan] avec toute la famille au port de l’abaya traditionnelle brodée [longue robe ample portée par les femmes musulmanes]. Mais c’est avant tout un mois de prière qui rapproche tous les musulmans d’Allah. Le jeûne purifie l’esprit et le corps, et apporte ses bienfaits à tous.
En tant que coach, j’écris souvent sur l’importance d’honorer les besoins de notre corps et d’en décoder les signaux, en particulier pour les personnes qui ont pris l’habitude de faire des régimes très restrictifs et de ne pas écouter leurs sensations de faim et de satiété. Pour moi, c’est aussi ça, être body positive, et je sais que tu es une des figures de proue de ces valeurs, ici au Moyen-Orient. Comment peut-on arriver à cet équilibre délicat, qui consiste à écouter son corps et à honorer ses besoins tout en célébrant le Ramadan?
Je pense que toute routine quotidienne (que vous appliquez en dehors de la période du Ramadan) peut facilement être adaptée au Ramadan. Ce dernier ne doit jamais être considéré comme un fardeau, mais plutôt comme une bénédiction. Le Ramadan encourage tous les musulmans à être plus en phase avec leur corps et leur âme. Parfois, avec la joie et les réunions de famille viennent la nourriture – beaucoup de nourriture. Selon vos besoins et vos objectifs, vous pouvez planifier votre Iftar ainsi que vos collations et vos repas entre Maghrib [prière qui suit la rupture du jeûne] et Fajr [prière qui précède le lever du soleil], sans devoir vous priver ni manger trop.
Faites de ce Ramadan VOTRE RAMADAN
En termes d’activité physique, certaines personnes aiment bouger même pendant le jeûne ou pendant les deux dernières heures du jeûne. D’autres préfèrent faire de l’exercice après l’Iftar. Suivez votre instinct, tout en étant réaliste et doux avec vous-même. Ne vous mettez pas la pression : faites ce qui vous semble le plus confortable.
Sur une autre note, je voudrais mentionner brièvement la notion de gestion de la nourriture. Beaucoup de familles s’obsèdent à stocker beaucoup d’emplettes au cours de ce mois. Les étagères des supermarchés se vident rapidement : dans certains cas, l’objectif est d’aider les plus démunis (ce qui est honorable) mais souvent ce sont simplement des familles qui s’approvisionnent comme si la fin du monde était proche. Je conseillerais plutôt de planifier vos achats au jour le jour, ou de semaine en semaine, comme vous le faites pendant le reste de l’année.
A nouveau, il est possible de conserver ses habitudes pendant le mois de Ramadan ; tout est une question de bien planifier, et de se réjouir de cette période qui nourrit le corps et l’esprit.
Quelles sont tes stratégies pour répondre aux messages qui ont tendance à comparer le jeûne religieux de ramadan à une opportunité de faire régime et perdre du poids?
C’est bizarre. Avant même le début du Ramadan, j’avais déjà repéré des vidéos de youtubeuses qui racontaient comment NE PAS prendre du poids pendant le Ramadan. Honnêtement, il n’y a rien de mal à cela, mais c’est l’intention qui me gêne, et la pression sociale qu’elle entraine. Beaucoup de jeunes femmes écoutent ces youtubeuses et plutôt qu’obtenir des conseils bienveillants, elles entendent un jugement. Cela a tendance à me rendre furieuse pour les femmes qui se débattent déjà avec leur image corporelle et qui pourraient constituer un public captif, car cela les pousse encore plus profondément dans la haine de soi. Mon conseil est de ne pas écouter ce que les gens vous disent.
Les gens n’arrêtent jamais de [juger] mais vous pouvez bloquer tout cela, en travaillant à vous accepter exactement comme vous êtes.
Le Ramadan est une belle façon de retrouver l’équilibre, en particulier pour votre corps. Si ce pilier de l’islam est mené en toute bonne conscience, il apporte une sensation de purification. Je n’aime pas que les gens considèrent automatiquement le Ramadan comme un excellent moyen de perdre du poids, un « régime ».
J’ai toujours été ronde, et de nombreux membres de ma famille m’ont souvent observée et scrutée, surtout pendant les réunions de l’Iftar, espérant voir les effets du jeûne sur ma silhouette, me félicitant carrément si je perdais un peu de poids ou me conseillant de ralentir sur les bonbons et les sambouseks frits [petit chausson à la viande]. Mais j’ai toujours été en accord avec moi-même et à l’écoute de mes besoins. Les gens oublient que nous évoluons tous, tout au long de notre vie. Je recommanderais plutôt d’accepter votre corps, d’en être à l’écoute afin de favoriser votre santé et de construire votre propre compréhension de la façon dont vous aimeriez passer le Ramadan, avec toutes ses bénédictions. Ignorez les commentaires pendant le Ramadan, comme n’importe quel autre jour de l’année.
Pour les personnes en convalescence ou souffrant de troubles du comportement alimentaire, il généralement recommandé d’éviter de jeûner jusqu’à ce que leur rétablissement soit bien établi. Y a-t-il des pratiques de ramadan non liées au jeûne, que l’on peut faire si jeûner est déconseillé pour des raisons médicales?
Certaines années, je n’ai pas pu accomplir tous mes jours de jeûne, surtout après avoir eu mon fils Ahmad, qui a 8 ans maintenant et est atteint d’autisme. Au début, je me sentais gênée, mais finalement je l’ai accepté car je savais que je devais avant tout prendre soin de mon fils et que, pour cela, il fallait également me sauvegarder. Je scolarise Ahmad à la maison et j’ai besoin de toute mon énergie pour effectuer toutes mes tâches quotidiennes.
Allah est bon et miséricordieux et, si le jeûne vous est déconseillé, le Ramadan reste une période idéale pour se concentrer sur les bonnes actions, la prière, la réalisation de duas [une prière de supplication ou de demande], l’aide aux nécessiteux, le bénévolat, la distribution des repas pour l’Iftar et tous les actes de bonté et de gentillesse. Personnellement, comme mon mari et moi avons tous les deux passé notre enfance en Arabie saoudite, notre éducation était assez similaire. Nous sommes habitués à ces coutumes locales, à la beauté de donner, et nous le faisons toute l’année, pas seulement pendant le Ramadan. Être gentil devrait être universel et sans limites. La gentillesse est une force et un pouvoir que beaucoup de gens confondent avec de la faiblesse. Mais la vraie bonté, le don de soi, sont compris par ceux qui sont toujours conscients de leur environnement et des besoins de ceux qui les entourent.
Que t’a appris la maternité sur ta foi et ton corps ? Le ramadan est-il différent une fois qu’on a un des enfant(s) ?
Ma foi se renforce chaque jour, surtout depuis que je suis devenue maman. Le miracle de la naissance, la beauté de la maternité, l’art éternel de la patience, l’amour inconditionnel que vous donnez à vos enfants, tout cela est une bénédiction. Le Ramadan est un moment de réflexion, un temps de reconnaissance, un temps pour se montrer bon et se poser les bonnes questions. Avoir un enfant autiste m’a confrontée à de nouveaux défis mais m’apporte aussi énormément de joie et de bénédictions. Pendant le Ramadan, tout ralentit afin que nos réflexions et nos prières deviennent plus fortes et plus puissantes. Donc, en tant que musulmans, nous devons tirer le meilleur parti de ce mois béni en faisant des bonnes actions, et en abandonnant nos mauvaises habitudes, dans l’espoir qu’Allah accepte ces actions et nous bénisse en multipliant ses récompenses.
Merci Hanane d’avoir apporté un éclairage sur un grand nombre de questions que j’avais toujours eu peur de poser ! Si vous souhaitez en savoir plus sur Hanane ou son collectif, veuillez la suivre sur Instagram via @middleeastplussizecollective ou @curvynounzie.