L' »Indice de Masse Corporelle », cette mesure du poids divisée par la taille au carré, est partout. Les compagnies d’assurance basent leurs décisions sur l’accès aux soins de santé sur notre IMC. Nos enfants apprennent à le calculer à l’école. Nos collègues passent leur pause déjeuner à en discuter.
En soi, l’IMC n’est pas problématique mais son usage pour indiquer la santé des individus est pernicieuse. Il est temps de démystifier les croyances que nous avons sur l’IMC.
Croyance #1 : l’IMC est un indicateur individuel
L’indice de masse corporelle est inventé en 1832 par Adolphe Quetelet, mathématicien belge, et vise à catégoriser les proportions corporelles de la population belge, de manière rapide et efficace, à la demande du Gouvernement. A cette époque déjà, Quetelet prévient que cet indice (alors dénommé ‘Indice Quetelet’ jusqu’à ce qu’il devienne ‘IMC’ après qu’Ancel Keys le renomme ainsi en 1972) vise UNIQUEMENT la collection de données pour des populations et ne doit JAMAIS être utilisé pour mesurer des individus, car il ne prend pas en compte des facteurs importants dont l’âge, le sexe, l’origine ou la masse musculaire.
Croyance #2 : l’IMC prédit l’état de santé
En 2013, des chercheurs de l’école de Médecine Perelman, au sein de l’université de Pennsylvanie, rappellent que l’IMC ‘ne prend pas en compte la masse musculaire, la densité osseuse, la composition générale du corps et les différences ethniques ou sexuelles’. De plus, l’IMC a tendance à ‘allonger’ les petits et à ‘alourdir’ les grands. Il ignore totalement la circonférence de taille, qui est un indicateur beaucoup plus précis de masse graisseuse. L’IMC a aussi tendance à classifier des athlètes (dont la masse musculaire est plus élevée) comme ‘en surpoids’ ou ‘obèses’. Les catégories de l’IMC (poids ‘normal’ entre 18.5 and 25, ‘en surpoids’ entre 25 et 30 ou ‘obèse’ au-delà de 30) ne prennent pas non plus en compte les changements naturels de distribution graisseuse qui apparaissent avec l’âge. Du coup, on vise tous le même nombre ‘idéal’ pour notre IMC, à 15 ou à 65 ans. C’est pourquoi “le poids et l’IMC sont de mauvais prédicteurs de santé et de longévité,”[i] selon l’association pour la diversité des tailles et la santé (ASDAH).
Mais il y a un autre problème avec l’IMC. Quand nous stigmatisons des adultes (ou même des enfants!) parce que l’IMC les définit comme ‘obèses’ ou ‘en surpoids’, la discrimination ressentie affecte négativement leur santé, bien plus que le poids en lui-même. Une marginalisation chronique est par ailleurs associée à un risque plus élevé de dépression, de troubles du comportement alimentaire et de régimes ‘yo-yo’. Ces deux derniers ont des effets dévastateurs sur le métabolisme à long terme, tout comme une mauvaise estime de soi et une image corporelle négative.
Croyance #3 : Il est impossible d’être en bonne santé avec un IMC de 25 ou plus
Depuis trop longtemps, un IMC élevé est considéré comme un signe de masse graisseuse élevée, et utilisé ensuite pour évaluer votre état de santé ou le risque de développer certaines maladies.
C’est sans compter sur le fait qu’il est un outil purement statistique : ses valeurs limites (pour les catégories sous poids, normal, surpoids, obèse) sont largement arbitraires, carrément partisanes et loin d’etre scientifiquement prouvées. Un bon exemple vient des Etats-Unis. En 1998, l’Institut Américain de la Santé modifie les règles d’utilisation de l’IMC pour suivre les directives de l’Organisation Mondiale de la Santé. L’Institut descend les limites de la catégorie ‘surpoids’ de 27.8 à 25, et un beau matin, plusieurs millions d’Américains se réveillent ‘en surpoids’ alors qu’ils avaient un IMC ‘normal’ la veille. Le changement se fait sous la pression des lobbys pharmaceutiques, qui étendent ainsi rapidement et efficacement leur champ d’action pour les médicaments visant la perte de poids.
En réalité, et à cause des facteurs corporels oubliés par l’IMC, les études récentes démontrent que “les personnes en surpoids vivent au moins aussi longtemps et souvent plus longtemps que les gens ayant un poids ‘normal’”.[iv] L’association pour la diversité des tailles et la santé (ASDAH) avance même que “trois kilos en ‘sous-poids’ est plus dangereux que 30 kilos ‘en surpoids’.”[v]
Pourquoi l’IMC est-il toujours aussi prédominant aujourd’hui ?
D’abord, car tous les médecins, chercheurs, journalistes opèrent au travers du filtre invisible de leurs valeurs culturelles. Dans le monde occidental, ces valeurs n’encouragent pas la diversité corporelle et certaines sont carrément grossophobes. Malheureusement, les études ancrées dans cette culture grossophobe pensent que la graisse (dans votre assiette ou sur vos hanches) est à éviter à tout prix, et que les humains ont la capacité de contrôler leur apparence de manière intentionnelle. Ces croyances inspirent encore de nombreuses politiques de santé publique de par le monde et sont même transmises dans les écoles de médecine.
De plus, la perte et le ‘contrôle’ du poids représentent un marché global énorme ($168.95 milliards en 2016 selon Orbis Media). Sachant que 95% des régimes ne fonctionnent pas à long terme, c’est un marché qui ne cesse de croitre, car les ‘client.e.s’ y retournent de manière cyclique. Quand on compare cette industrie à celle de l’acceptation de soi et de pratiques de self-care, il est évident que faire miroiter une perte de poids (des suppléments aux livres en passant à la chirurgie bariatrique) est plus lucratif. Pourquoi se débarrasser d’un indice qui augmente le potentiel du marché florissant?
Aborder la santé en dehors de toute considération de poids, c’est possible
La prochaine fois que votre médecin vous encourage à perdre du poids car votre IMC est ‘trop élevé’, soyez assertif.ve et exigez d’autres ‘preuves’ de ce besoin. Les ratios taille-hanche sont de meilleurs indices de santé cardio-métabolique pour le futur.
Sachez aussi qu’il est tout à fait possible d’envisager votre santé sans considérer votre poids ou votre IMC, mais de manière plus inclusive et centrée sur la diversité des corps, la génétique, l’environnement, le style de vie, l’image corporelle et une relation saine a la nourriture, guidée par les besoins nutritionnels mais aussi par le plaisir et la satiété. Pour plus de ressources sur cette approche, allez lire ce blog post.